"Le microbiote : cet ami qui ne vous veut pas que du bien..."
EXPOSÉS
Introduction, Nathalie KAPEL
"Le microbiote intestinal : aspects analytiques et physiologiques", Marie-Jo BUTEL
"Gut microbiota in IBD : from pathogenesis to treatment target", Harry SOKOL
"Microbiote et obésité", Karine CLEMENT
"Alimentation, maladies cardiovasculaires et microbiote intestinal : prévenir les archées, microbes originaux et bénéfiques ?", Jean-François BRUGERE
"Le soi étendu. Le point de vue du philosophe", Thomas PRADEU
Conclusions, Évelyne KOHLI
« Le microbiote, cet ami qui ne vous veut pas que du bien… »
Séance thématique
Mercredi 6 février de 14 h 00 à 17 h 00
Dès la naissance, l’organisme construit une symbiose hôte-microorganismes jouant un rôle-clé dans la préservation de la santé. Ces microorganismes très nombreux et très divers (bactéries, archées, virus, champignons), présents au niveau de la peau et des muqueuses, constituent le microbiote. Le microbiote bactérien intestinal, le plus important sur le plan quantitatif (environ 1014) et qualitatif (4000 espèces estimées), mais aussi du fait de son potentiel thérapeutique, représente actuellement un sujet de recherche majeur, comme en atteste le nombre croissant de publications et de brevets ainsi que les financements publics et privés qui y sont consacrés. Au-delà de la recherche scientifique, le microbiote connaît un véritable engouement de la part du public et fait régulièrement l’objet d’articles dans les médias, à propos de l’association entre ses perturbations et diverses maladies. Cependant, si des perturbations ont bien été rapportées au cours de nombreuses maladies, le lien de causalité reste à confirmer dans la plupart des cas, la perturbation pouvant être la conséquence de la maladie ou seulement le reflet de différences épidémiologiques entre les groupes.
14 h 00 Ouverture de la séance par Christiane Garbay, Présidente de l’Académie nationale de Pharmacie
14 h 05 Introduction par Nathalie Kapel, membre de l’Académie nationale de Pharmacie
14 h 15 « Le microbiote intestinal : aspects analytiques et physiologiques »
Pr Marie-Jose Butel, Professeur émérite, Faculté de Pharmacie de Paris UMR-S 1139, INSERM, Université Paris Descartes
L’homme est colonisé par environ 5.1013 micro-organismes, soit environ le même nombre que nos cellules eucaryotes, faisant de l’homme une symbiose avec son microbiote. La plus grande part de ce microbiote se situe au niveau intestinal. Les nombreuses fonctions, dont les principales sont des fonctions de barrière, métaboliques et immunitaires, font considérer le microbiote comme un véritable organe participant au maintien de l’homéostasie intestinale et à la santé de l’hôte. Aujourd’hui de nombreuses pathologies sont associées à des dysbioses de ce microbiote. Les premiers mois de vie sont une étape reconnue clé dans la mise en place de ce microbiote. La composition du microbiote intestinal et ses fonctions sont de mieux en mieux connues grâce aux techniques d’analyse récemment développées, en particulier le séquençage à haut débit et la métagénomique. La recherche de marqueurs biologiques – espèces bactériennes ou métabolites par exemple – de normobiose ou de dysbiose ouvre la voie à de nouvelles pistes diagnostiques ou pronostiques, mais aussi préventives et thérapeutiques avec pour objectif de moduler la composition du microbiote ou ses fonctions.
14 h 45 « Gut microbiota in IBD: from pathogenesis to treatment target»
Pr Harry Sokol, MD PHD Inserm U1157 / UMR 7203, Gut Microbiota and Immunity UPMC, Institut Micalis
The pathogenesis of the inflammatory bowel disease (IBD) is linked to an activation of the gastro-intestinal immune system toward the gut microbiota in genetically susceptible hosts and under the influence of environment. The microbial community in the human gastrointestinal tract is fundamental to the health and is under the influence of both environmental and genetic factors. Loss of the fragile equilibrium within this complex ecosystem, termed dysbiosis, is involved in numerous pathologies, including IBD. Patients with IBD exhibit an altered gut microbiota composition with notably a decreased abundance of anti-inflammatory bacteria such as Faecalibacterium prausnitzii. We also observed alteration in the fungal microbiota composition in these patients. The association of several polymorphisms of innate immunity genes involved in microbial sensing with IBD is another argument for the involvement of the gut microbiota in the IBD pathogenesis. Some genetic factors involved in IBD might indeed act through a microbiota effect. We notably demonstrated that this is the case for the IBD susceptibility gene CARD9. Gut microbiota alterations are thus not only a consequence of intestinal inflammation but a key actor in the disease pathogenesis. Fecal microbiota transplantation studies, by showing some efficacy in IBD confirm that the gut microbiota can now be considered as a potential therapeutic target.
15 h 05 « Microbiote et obésité »
Pr Karine Clément, La Pitié-Salpêtrière, UMR INSERM - UPMC S-1166
Depuis près de 20 ans (rapport OMS 1997), l’alerte a été donnée concernant la progression épidémique de l’obésité et la nécessité d’en étudier la complexité clinique, physiopathologique, ainsi que les relations avec les complications métaboliques (diabète, dyslipidémie), maladies hépatiques et complications cardiovasculaires. L’obésité est associée à une dérégulation du bilan d’énergie en lien avec des interactions complexes entre notre biologie et nos modes de vie. Cette complexité s’étend aux perturbations tissulaires avec des altérations métaboliques et immuno-inflammatoires des tissus ; tissu adipeux, foie, muscle, cerveau ainsi que l’intestin ! Les progrès rapides des techniques de séquençage étendu au génome bactérien ainsi que des expériences menées chez l’animal de transfert de microbiote ont permis de repérer que notre « autre génome » -le génome microbien- du microbiote intestinal pouvait être, aussi impliqué dans la prise de poids et les complications associées. Les études de séquençage ont non-seulement montré des changements dans la composition des grands phyla bactériens, de certaines bactéries spécifiques mais également des modifications quantitatives. La notion de dysbiose a été introduite. Cette dysbiose intestinale est associée à un profil métabolique défavorable (élévation de insulino-résistance, et des dyslipidémies) et à une inflammation bas-grade plus importante dans le sang et les tissus. Certaines espèces ont été mise en avant. Cette conférence reprendra les données sur le microbiote dans les maladies métaboliques ainsi que les développements thérapeutiques actuels.
15h30 « Alimentation, maladies cardiovasculaires et microbiote intestinal : prévenir les archées, microbes originaux et bénéfiques ? »
Dr Jean-François Brugère, EA 4678 Université de Clermont- Auvergne. Conception, Ingénierie et Développement de l’Aliment et du Médicament (CIDAM)
Le mode de vie et la nature de l’alimentation sont connues depuis longtemps comme des facteurs du risque cardiovasculaire, principale cause de mortalité dans le monde. Le microbiote intestinal est également impliqué comme le démontre de récentes études, par divers processus qui peuvent favoriser l’athérosclérose. Cependant, un lien direct entre alimentation, microbiote intestinal et maladies cardiovasculaires a été mis en évidence en 2012 en recherchant initialement de nouveaux marqueurs plasmatiques de la maladie. Ainsi, l’équipe de Stanley Hazen (Cleveland, USA) a pu démontrer qu’une molécule simple, l’oxyde de triméthylamine plasmatique (ou pTMAO) participait directement et indirectement aux mécanismes d’athérosclérose. Or cette molécule puise son origine indirectement et uniquement du métabolisme de bactéries du microbiote intestinal à partir de nutriments communs et nécessaires de notre alimentation. Différentes stratégies préventives sont imaginées pour limiter l’apparition de pTMAO dans la circulation, allant de l’alimentation à la chimiothérapie dont l’antibiothérapie, mais peu restent réalistes. Nos travaux ont parallèlement mis en évidence des microbes non bactériens vivant dans le microbiote intestinal humain, ainsi que dans le tractus digestif de nombreux animaux. Il s’agit d’archées au métabolisme particulier, méthanogène, devant utiliser des composés chimiques simples comme la TMA pour survivre dans cet environnement particulier. Ceci et d’autres éléments contribuent à proposer que ces organismes, biologiquement et génétiquement très particuliers, sont des contributeurs naturels permettant de remédier à un intermédiaire métabolique bactérien délétère à l’origine du pTMAO plasmatique. Favoriser leur présence, ou les utiliser comme probiotiques de nouvelle génération (pharmabiotiques dénommés « archaebiotics ») forment ainsi des stratégies de développement novatrices en vue de prévenir les maladies cardiovasculaires.
16h00 « ʺLe soi étenduʺ. Le point de vue du philosophe »
Dr Thomas Pradeu, Directeur de recherche au CNRS, Unité d’immunologie ImmunoConcept, UMR5164, CNRS & Univ. Bordeaux, & Institute for Philosophy in Biology and Medicine, Bordeaux
La définition d’un individu dans le monde du vivant est une question importante dont s’est emparée l’immunologie en tant que science du « soi » et du « non soi ». L’immunologie s’est construite dans l’entre-deux-guerres à partir de la rencontre de deux grands domaines, l’étude des maladies infectieuses et celle de la transplantation. Ceci a conduit à l’idée que tout individu biologique est capable de reconnaître le « soi » (ses propres constituants) et le « non-soi » (toutes les entités qui lui sont étrangères), et de défendre le « soi » contre le « non-soi ».
Que changent les travaux récents sur le microbiote à notre vision de l’individualité biologique et du système immunitaire ? Chaque individu est un écosystème « microbien » complexe constitué de nombreux éléments biotiques, appartenant à différentes espèces, et même différents règnes, autrement dit un « méta-organisme » incluant des milliards de microbes. Je propose de comprendre le système immunitaire comme le système qui unifie la pluralité de ces constituants hétérogènes. Plusieurs conséquences philosophiques, scientifiques et thérapeutiques découlent de cette proposition concernant un tel « soi immunologique étendu ».
Références
Burnet FM (1962) The Integrity of the Body: A Discussion of Modern Immunological Ideas. Harvard University Press, Cambridge, MA
Chiu L, Bazin T, Truchetet M-E, et al (2017) Protective Microbiota: From Localized to Long-Reaching Co-Immunity. Front Immunol 8:. doi: 10.3389/fimmu.2017.01678
Eberl G, Pradeu T (2018) Towards a General Theory of Immunity? Trends in Immunology 39:261–263. doi: 10.1016/j.it.2017.11.004
Pradeu T. (2009), Les Limites du Soi : Immunologie et identité biologique. Paris, Vrin & Montréal, Presses Universitaires de Montréal.
Pradeu T (2010) What is an organism? An immunological answer. History and Philosophy of the Life Sciences 32:247–268
16 h 25 Conclusions par Évelyne Kohli, membre de l’Académie nationale de Pharmacie
Clôture par Christiane Garbay, Présidente de l’Académie nationale de Pharmacie